Naomi Melville

Note d'intention du projet

Le travail que mène Naomi Melville questionne les rencontres entre communautés ethniques et religieuses, la confrontation de traditions anciennes à la globalisation du monde. De ces chocs, elle aime saisir, plus ce que qui périt, ce qui émerge : objets ou rites hybrides, langages – codes, dialectes, créoles –. La construction de ceux-ci, au terme d’étapes historiques et géographiques successives, tout autant que leur revendication en tant que symboles identitaires la passionnent.

Elle a, depuis 2017, développé deux projets qu'elle entend poursuivre par la suite. Le premier a pris racine en Guadeloupe, où des récits et témoignages d’habitants de l’archipel, ainsi que la collecte de documents d’archive (journaux, généalogies), l’ont aidée à questionner la notion « d’identité antillaise ». C’est un processus similaire qui a nourri le projet qu'elle a construit à la Casa de Velazquez à Madrid, autour des crypto-religions persistant malgré la répression inquisitoriale du XVIe – XVIIIe siècle : marranisme et crypto-islam (moresques). Ce sont des échanges avec des chercheurs et chercheuses en histoire, la lecture d’archives, encore, mais aussi de contes, de chants en judéo-espagnols, la rencontre avec des communautés religieuses affirmant leur filiation à ces communautés d’alors, qui lui ont permis de développer des œuvres nourries de ce vocabulaire, aussi bien textuel que formel.

Les matériaux qu'elle utilise sont choisis, logiquement, en fonction de ceux évoqués dans les sources précitées. En Guadeloupe, elle a réalisé une série de dessins, représentant une sélection des nombreux trous jalonnant les routes, à l’aide d’une encre qu'elle a extraite de fleurs de groseille. Produit local, la culture de cette dernière pourrait aider, à long terme, à soutenir une économie antillaise autonome permettant à ses habitants de gérer et d’entretenir leur territoire indépendamment de la métropole. En Espagne, elle a tenté de reproduire les phylactères (banderoles ornées de texte) omniprésentes dans les peintures du siècle d’Or, en trois dimensions et dans le but d’en modifier les inscriptions, en cherchant le matériau qui s’y prêterait le mieux. Elle a eu l’occasion de se servir de bois et de miroirs pour reconstruire – et transformer – l’architecture de la cathédrale de Tolède en soulignant les jeux de regards qu’elle rendait possibles.

Il lui plaît de réaliser un travail précis et fin ayant trait à l’artisanat, dont elle cherche à acquérir certaines compétences (un stage en fonderie de bronze, un second en menuiserie notamment). Elle tend à réaliser des installations aux formes graphiques mais délicates, parfois éphémères, faisant du matériau un usage parfois précieux : broderie, gravure sur verre, marqueterie, découpe en dentelle de feuilles de tulipes… Elle applique souvent ces gestes précis à des supports beaucoup plus larges. La cohabitation d’une large échelle et d’un niveau de détail plus infime permet une première approche, visuelle et matérielle, de l’installation, puis une seconde, s’apparentant à la lecture d’un récit et au temps nécessaire à sa compréhension. Une installation qu'elle a réalisée en 2016, La méiose, a été une première réponse à cette envie qui l’habitait : quatre rubans, tendus par des poids, se déploient du sol au plafond et se croisent en leur centre, contraints par un pivot central en bronze. Ils forment huit segments, tel un immense et double chromosome. En s’approchant, on s’aperçoit qu’une phrase est brodée sur chacun d’eux. Il s’agit de tourner, de se pencher puis de se relever pour toutes les lire. Elles traitent de la naissance de la mythologie, et de l’hypothèse déjà soulevée qu’une unique phrase initiale ait pu donner naissance, par mutations et permutations, à tous les grands mythes tels qu’on les connaît aujourd’hui. Interchangeables, ces phrases, selon leur ordre de lecture, permettent la lecture d’une quasi-infinité de textes.

Son rapport à l’écriture, en lien avec les matériaux textuels qu'elle utilise, est aussi particulièrement prégnant dans son travail. Sa pratique de l’écriture (principalement poétique) est pour l’instant parallèle à son travail plastique. Elle cherche à décloisonner ces deux disciplines en introduisant des fragments de texte (cités ou écrits) dans ses installations. Elle fait également partie d’un collectif, Se montrer moins agressives, avec une autre artiste, Pauline Fremaux. Leur travail collectif a trait au langage. Elles participent actuellement à un programme de résidence visant à produire une œuvre en collaborant avec les employé.e.s d’une usine de servomoteurs. Elles espèrent produire un travail graphique et d’écriture, basé sur les champs lexicaux employés par les multiples corps de métiers de cette entreprise.

Les sujets qu'elle traite, bien que chronologiquement disparates, se font écho. Elle aime introduire une matière extérieure, le bruit du réel, dans sa production artistique. Certaines notions surgissent à plusieurs reprises : le changement de nom, la complexité d’une identité. Ces répétitions, telles un fil conducteur, permettent, de transmettre les récits qui lui sont chers tout en les ouvrant à d’autres imaginaires.

 

Sources d'inspiration

De gauche à droite : Plat supérieur de reliure, Sacramentaire de Ratmann, Hildesheim (Allemagne), 1159 / Fragments de l’Ancien Testament, copié au XVe siècle, retrouvé caché dans une reliure de livre profane d’origine madrilène /  Juan Correa de Vivar, El profeta Isaías et El profeta Habacuc (1533-35), huile sur toile, respectivement 90 x 43.5 cm et 89 x 44 cm.

 

Œuvres pour Sendas epigráficas

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