
Temps
En raison de sa matérialité, l’objet épigraphique est amené à exister dans un futur, préservant ainsi la mémoire d’un événement et le souvenir d’un geste d’écriture. L’inscription tire de cette capacité à traverser le temps son statut d’objet d’histoire et de musée. Elle est vouée à l’anachronisme parce que sa langue, ses formes graphiques, l’événement commémoré finissent par échapper au temps qui les a nourris et vus naître. Elle devient alors une curiosité pour l’œil d’aujourd’hui et c’est dans ce décalage des temps que se forge une partie de son potentiel esthétique. L’inscription est un objet avec une vie propre qui ne s’arrête finalement pas à sa réalisation. Cette fin de vie demeure difficile à situer : la disparition de l’objet jusqu’à sa redécouverte ? sa destruction matérielle ? Mais que faire alors d’un dessin, trace et mémoire de l’objet ?
Si les manières d’inscrire diffèrent suivant les espaces, les communautés et se transforment avec le temps, la pratique épigraphique reste un phénomène de très longue durée qui dépasse en aval comme en amont la seule Antiquité et le Moyen Âge. L’existence d’une « épigraphie contemporaine » invite à s’interroger sur les vertus d’une manière d’écrire qui se maintient quand les moyens de communication se multiplient via leur dématérialisation. Ce constat oblige le chercheur à penser la pratique épigraphique sur la très longue durée, à chercher éventuellement les composantes structurelles d’une telle pratique de l’écrit : exposer, durer, incarner la matière, prendre place et faire de l’écriture un lieu.
À bien des titres, l’objet épigraphique noue donc des rapports complexes au temps, puisque l’inscription est un objet qui condense et mêle plusieurs temporalités. L’objet même dispose d’une capacité à demeurer « au présent ». Par le jeu des références – graphiques (les lettres), formelles (un genre littéraire, une formule), monumentales (typologie du support) – il se fait parfois l’écho d’un passé qu’il réactualise et conduit à une question : à quels temps l’objet appartient-il ? comment articuler son historicité avec son actualité ? Les œuvres contemporaines, échos à peine altérés d’une documentation ancienne ne deviennent-elle pas alors documents du passé ?